Moruroa
L'avant CEP
C'est sur l'Atlas universel de 1826 qu'apparaît pour la première fois, d'une façon lisible et détaillée, une carte de l'Océanie française sur laquelle les archipels et îles, formant l'actuelle Polynésie, sont à peu près correctement situés et ont presque tous une appellation. Moruroa y est désigné sous le nom «d'île d'Osnabrug, Récif Mathilde» (celui de «Mururoa» n'apparaissant que sur une carte marine des Tuamotu en 1871).
Il s'agit là de la première énigme concernant cet atoll perdu dont rien ne pouvait laisser prévoir qu'il deviendrait un jour un des plus grands et des plus contestés chantiers du monde.
Il n'est en effet pas sûr que ce soit Philip Carteret, capitaine du “Swallow” qui accompagnait le “Dolphin” du célèbre Samuel Wallis lors de son voyage d'exploration en 1767, qui ait découvert l'île. Les coordonnées qu'il en donne (3° trop à l'ouest) ainsi que la description sembleraient plutôt concerner Tematangi. Quoi qu'il en soit, c'est quand même à ce grand marin que fut attribuée la découverte de l'atoll que les anciens Polynésiens désignaient sous le vocable “Hitte-tamaroo-eiree”. Le “Matilda”, navire affecté au transport de convicts en Australie, ayant obtenu l'autorisation de se transformer en baleinier pour le voyage de retour sur l'Angleterre, s'échoua sur le récif de Moruroa dans la nuit du 25 février 1792. L'équipage, sous la direction de son capitaine Weatherhead, réussit l'exploit de regagner Tahiti, à force de rames, dans quatre chaloupes sauvées du naufrage. Le relevé du lieu de ce naufrage correspondant mieux que celui donné par Carteret, l'île fut longtemps inscrite sur les cartes comme “Matilda's Rock”.
L'atoll fut exploité, surtout durant la période “missionnaire” comme cocoteraie et comme lieu de pêche à la nacre et aux perles naturelles. Les “huîtres perlières” avaient la réputation d'être les plus belles des Gambier, l'atoll étant en effet plus rattaché physiquement au haut plateau sous-marin des Gambier qu'à celui des Tuamotu.
Plusieurs sociétés exploitant le coprah se succédèrent à la tête de la cocoteraie et l'atoll fut épisodiquement occupé par des travailleurs et pêcheurs saisonniers avant que l'État français pense à cette région isolée du Pacifique pour procéder à des expériences atomiques, comme les Anglais et Américains le font alors.
Le CEP, Centre d'Essais du Pacifique
C'est finalement le Sahara algérien qui est choisi en 1958 pour effectuer les premiers tirs mais c'est aussi à cette date (alors que des velléités d'indépendance apparaissent en Algérie ) que sont subitement débloqués les crédits pour la construction d'un aéroport international à Tahiti. C'est donc à l'indépendance de l'Algérie que le Centre d'Essais s'installe à Moruroa.
Il existe bien peu de témoignages* sur l'aventure humaine à laquelle furent mêlés plusieurs dizaines de milliers d'individus de toutes conditions, civils et militaires, techniciens et man½uvres, Français de métropole et de Polynésie.
Durant plus de trente ans, il leur a fallu travailler et cohabiter ensemble dans des conditions parfois pénibles.
C'est le “Génie de l'Armée de l'Air” qui entama les premiers travaux en 1964 ; vinrent ensuite des sociétés civiles pour la construction des très gros ouvrages (blockhaus d'observation et de commande). Les travailleurs étant d'abord logés dans des tentes de l'armée avant que celle-ci ne monte quelques baraquements métalliques. Les premiers techniciens arrivent fin 1965 en même temps que les premiers “bateaux-bases”, anciens moutonniers transformés en casernes. Bien que les “bateaux-bases” se soient bien améliorés grâce à l'adjonction de vieux paquebots, les employés du CEP apprécient la construction de logements dans une zone protégée de l'atoll.
Le 2 juillet 1966, la France procède à sa première explosion nucléaire sur l'atoll de Moruroa qui sera suivie par 45 autres essais atmosphériques dans le ciel polynésien et à partier de 1974 par 147 tirs souterrains dans le "ventre" des atolls de Moruroa et Fangataufa.
Les expériences souterraines n'obligent plus aux évacuations du site mais les menaces de phénomènes géologico-hydrauliques deviennent si contraignantes qu'il n'y a plus possibilité de se déplacer hors de la zone vie en dehors des obligations professionnelles.
Dans cette ville qui compte jusqu'à trois mille âmes durant les campagnes de tirs, ce sont les femmes qui manquent le plus tout au moins au début puisqu'elles se feront de plus en plus nombreuses au fur et à mesure des années. Elles resteront cependant très minoritaires.
L'ère de l'après CEP
En avril 2002, le premier ministre pierre Bérégovoy suspend les essais nucléaires. En septembre 1995, Jacques Chirac, qui vient d'être réélu en juin à la tête de l'Etat, décide de les reprendre. Cette décision déclenchera des émeutes et l'incendie de la ville de Papeete. En janvier 1996, avec la fin des essais nucléaires, la Polynésie entre dans l'ère de l'après CEP. Une convention Etat - Territoire prévoit de compenser l'arrêt du CEP en garantissant des transferts qui s'élèveraient à 18 milliards de Fcfp par an. L'autonomie économique est en route. Mais l'aventure s'est réellement terminée le 8 juillet 1998, lorsque le général Boileau, dernier responsable de la DIRCEN a déclaré Moruroa “totalement rendu à la nature”.
Association Moruroa e tatou
L'association Moruroa e tatou, créée le 4 juillet 2001, regroupe les anciens travailleurs de Moruroa et Fangataufa. Cette association tient à rappeler que de nombreux anciens travailleurs ont subi de graves préjudices du fait de leur présence à Moruroa : nombre d'entre eux sont décédés prématurément et plus nombreux encore sont ceux qui subissent de graves problèmes de santé, cancers et autres maladies. Moruroa e tatou veut aussi alerter les pouvoirs responsables sur les risques sanitaires auxquels ont été exposés les populations de Polynésie et plus particulièrement celles des îles et atolls habités proches des anciens sites d'essais.
Association Moruroa e tatou
BP 5456 Pirae Tahiti (Polynésie Française)
Tél (689) 43.09.05 Tél/Fax : (689) 42.15.69
E-mail : moruroaetatou@mail.pf
Bibliographie :
- « Tranche de vie à Moruroa - Christian Beslu – éditions Le Motu
Les essais nucléaires présentés et illustrés au travers du quotidien des habitants de l'île de 1966 à 1992.
- « L'atoll de l'atome » Bernard Dumortier
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